En cas d’apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions, la société apporteuse est solidairement tenue avec la société bénéficiaire de l’apport au paiement des dettes transmises à cette dernière. Tel est le rappel de la Cour de cassation le 12 décembre 2006.
Hydraulique PB a livré des matériels aux Ets Augereau
- aux droits desquels vinrent les Ets Biguet frères, et adressé à
celle-ci deux factures qui restèrent impayées. Les Ets Augereau ont
ultérieurement cédé aux Ets Augereau carrosseries, par un apport partiel
d’actif placé sous le régime des scissions, la branche d’activité à laquelle se
rapportaient les factures émises par Hydraulique PB. Les Ets Augereau
carrosseries invoquant le caractère défectueux des matériels livrés, ont fait
assigner en dommages-intérêts Hydraulique PB qui a reconventionnellement
demandé le paiement des factures. Après qu’un arrêt irrévocable les eurent
condamnés au paiement de l’une de ces factures, les Ets Augereau carrosseries ont
été mis en redressement puis en liquidation judiciaires. Hydraulique PB a alors
demandé que les Ets Augereau soient condamnés à lui payer le montant des
factures.
La Cour d’Appel de Paris a débouté Hydraulique PB de sa
demande au motif qu’aucune stipulation du contrat d’apport ne prévoyait de
solidarité entre la société apporteuse et la société bénéficiaire, et que les
dettes en question ont donc été transmises à la société bénéficiaire sans
qu’aucune solidarité ne puisse être invoquée à l’encontre de la société
apporteuse. Cette société s’est pourvue en cassation. Lors d’une opération
d’apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions, la société
apporteuse demeure-t-elle solidairement obligée des dettes
transmises ? La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la
cour d’appel au motif que « dans le cas d’un apport partiel
d’actif placé sous le régime des scissions, la société apporteuse reste, sauf
dérogation prévue à l’article L. 236-21 du code de commerce, solidairement
obligée avec la société bénéficiaire au paiement des dettes transmises à cette
dernière ».
Rappel : l’apport partiel d’actif est l’opération qui consiste pour une société à apporter à une autre société une partie de ses actifs. L’apport partiel d’actif est donc une opération qui permet de filialiser un actif ou une branche d’actif. L’apport prend la forme d’un apport en nature qui provoque une augmentation de capital de la société bénéficiaire. En contrepartie, la société apporteuse reçoit des parts ou actions de la société bénéficiaire, dont elle devient associée. A l’issue de l’opération, la société apporteuse ne disparaît pas : elle se sépare seulement d’une de ses activités au profit d’une société qui devient sa filiale, et elle se recentre sur les activités qu’elle conserve. Le Code de Commerce ne définit cependant pas précisément cette opération et ne la dote d’aucun régime autonome. Il se contente de donner la possibilité aux sociétés anonymes et aux sociétés à responsabilité limitée de l’effectuer en empruntant le régime des scissions (L. 236-22 et 24). Ainsi, l’apport partiel d’actif emportera transmission universelle du patrimoine de la société apporteuse à la société bénéficiaire de l’apport relatif à la branche d’activité apportée, à condition que la société apporteuse et la société bénéficiaire de l’apport décident d’un commun accord de placer l’apport sous le régime juridique des scissions. Encore le bénéfice de la transmission universelle du patrimoine est-il limité aux seuls apports partiels d’actif portant sur une branche d’activité. Cette solution s’impose en matière fiscale, permettant l’application du régime fiscal de faveur, elle n’a cependant d’autres fondements que jurisprudentiels.
Au cas particulier, l’apport partiel d’actif a opéré une transmission universelle de patrimoine pour la branche d’activité concernée, et donc la transmission de l’actif et du passif. C’est précisément sur ce point que la Cour régulatrice nuance le principe de la transmission universelle du patrimoine, en considérant que la société apporteuse reste solidairement obligée avec la société bénéficiaire au paiement des dettes transmises à cette dernière. La Cour de Cassation a interprété l’article L. 236-21 du Code de Commerce de façon à appliquer la règle de la solidarité entre l’apporteuse et la bénéficiaire dans le régime des scissions, en considérant que la solidarité est le principe, posé par l’article L. 236-20 du Code de Commerce, et L. 236-21 l’exception, et donc l’absence de solidarité. En pratique, cette solidarité est cependant extrêmement rare, les rédacteurs des traités d’apport prenant soin de l’écarter expressément. On relèvera par ailleurs qu’il a été jugé qu’en cas d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions, le traité prévoyant que les dettes de l’inexécution d’obligations contractuelles antérieures à une dette déterminée resteraient à la charge de la société apporteuse est opposable aux tiers dès lors qu’il a été régulièrement publié. D’autres arrêts ont estimé qu’il n’y avait pas transmission universelle de patrimoine en cas de dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d’apport, de communauté ou de confusion d’intérêts, ou de fraude. Par conséquent, lorsque les deux sociétés sont unies par une communauté ou une confusion d’intérêts, la société apporteuse pourra être poursuivie en paiement des dettes transmises à la bénéficiaire, car elle s’est alors personnellement obligée en créant aux yeux des tiers l’apparence de son engagement.
La Cour pose donc clairement le principe de solidarité, l’article L. 236-21 du Code de Commerce ne faisant que prévoir une dérogation à ce principe en évoquant la possibilité de stipuler l’absence de solidarité. Reste que l’application du principe de la transmission universelle de patrimoine aux apports partiels d’actif risque d’entraîner en pratique des controverses quant à l’étendue exacte des biens, droits et obligations transférés par la société apporteuse.
Cass. Com 12/12/06, pourvoi n° 05-15619
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