Des
actionnaires d'une société anonyme exploitant une discothèque avaient cédé
leurs actions au au président du conseil d'administration de la société.
L'acte de cession prévoyait l'engagement des cédants de garantir l'acquéreur
contre toute augmentation du passif résultant d'événements à caractère fiscal
dont le fait générateur serait antérieur à la cession. L'acquéreur avait mis en oeuvre la garantie de passif
car la société avait fait l'objet d'un redressement fiscal pour l'exercice
ayant précédé la cession.
La cour d'appel de Paris avait rejeté cette demande pour
les raisons suivantes : l'acquéreur
ne pouvait pas, sans manquer à la bonne foi, se prétendre créancier à l'égard
des cédants dès lors que, dirigeant et
principal actionnaire de la société, il aurait dû se montrer
particulièrement attentif à la mise en place d'un contrôle des comptes
présentant toutes les garanties de fiabilité ; il ne pouvait pas ignorer que
des irrégularités comptables étaient pratiquées de façon courante dans les établissements
exploitant une discothèque et il avait ainsi délibérément exposé la société aux
risques, qui s'étaient réalisés, de mise en œuvre des pratiques irrégulières à
l'origine du redressement fiscal invoqué au titre de la garantie de passif .
La Cour de Cassation a cassé cette décision. En effet, si
la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi
permet au juge de sanctionner
l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des
droits et obligations légalement convenus
entre les parties.
Fondement de la cassation : Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à
ceux qui les ont faites (C. civ. art. 1134, al. 1).
Elles doivent être exécutées de bonne foi (art.
1134, al. 3).
Un communiqué du service de documentation et d'études de
la Cour de cassation commente ainsi l'arrêt rapporté :
« La chambre commerciale précise la portée des pouvoirs
reconnus au juge en matière de sanction de la mauvaise foi contractuelle. Elle
le fait sur le fondement d'une distinction
entre les simples prérogatives
contractuelles, dont l'usage déloyal peut être sanctionné sur le
fondement de l'article 1134, al. 3 du Code civil, et la substance même des droits et obligations nés du contrat, qui
ne peut quant à elle être remise en cause sans violation du premier alinéa du
même texte. Cette distinction n'est pas inconnue en doctrine (voir notamment P.
Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck : Les obligations, n° 764) et rejoint
celle qui est parfois faite entre « Force obligatoire et contenu obligationnel
du contrat » (P. Ancel : RTD civ. 1999 p. 772). »
« En jurisprudence, la solution est inédite. Le
manquement à la bonne foi, qui est ordinairement sanctionné par la
responsabilité civile du contractant de mauvaise foi (par exemple Cass. com. 8-3-2005 n° 02-15.783 : Bull. civ. IV n° 44),
peut certes trouver une autre sanction dans la neutralisation de la stipulation
mise en œuvre et il existe sur ce point une jurisprudence désormais classique
en matière de clause résolutoire (notamment Cass. 1e
civ. 16-2-1999 n° 96-21.997 : Bull. civ. I n° 52). Jamais, cependant, les juges
n'étaient allés aussi loin que l'avait fait la cour d'appel dans l'arrêt
censuré. Celui-ci avait en effet retenu que, compte tenu des circonstances, le
créancier ne pouvait, « sans manquer à la bonne foi, se prétendre créancier »,
ce qui revenait à neutraliser la créance elle-même. C'est donc cette vision
extrême du rôle de la mauvaise foi que condamne la chambre commerciale : le
créancier, même de mauvaise foi, reste créancier et le juge ne peut, au seul
motif que la créance a été mise en oeuvre de mauvaise foi, porter atteinte à
l'existence même de celle-ci en dispensant le débiteur de toute obligation. »
« La précision ainsi apportée ne remet pas en cause la
jurisprudence établie jugeant, sur le fondement du devoir de loyauté du
dirigeant social, que celui-ci peut se voir reprocher d'avoir dissimulé à un
associé cédant des informations de nature à influer sur son consentement à la
cession (Cass. com. 27-2-1996 n° 94-11.241; Cass. com. 12-5-2004 n° 00-15.618). En l'espèce, le
litige était certes né à l'occasion d'une cession d'actions consentie au
dirigeant de la société et la cour d'appel avait certes retenu la mauvaise foi
de ce dirigeant cessionnaire. Cette mauvaise foi, cependant, affectait la mise
en oeuvre de la créance fondée sur une clause de garantie de passif et résidait
seulement, selon l'arrêt, dans la circonstance que l'intéressé avait
délibérément exposé la société au risque, qui s'était réalisé, du redressement
fiscal ouvrant droit à garantie. En revanche, l'arrêt censuré ne s'était
nullement fondé sur le fait que le dirigeant cessionnaire aurait par son
comportement influé sur le consentement à la cession. »
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