Marie-Pierre BEVIERE, avocat à la Cour, nous fait part d'une question de l'un de ses clients à laquelle elle répond ci-dessous :
Un client m’a posée récemment la question citée en objet. Il souhaitait créer, au sein du site Internet de sa société, un espace de discussion pour animer son site et donc attirer des flux de visiteurs.
« Au-delà du vocabulaire, tout dépend du mode de fonctionnement de cet outil de communication, lui ai-je répondu, voulez-vous en faire un espace privé dans lequel seuls quelques happy few seront seuls autorisés à échanger ou bien souhaitez-vous l’élargir au plus grand nombre ? En effet, juridiquement, blog et forum de discussion sont similaires dès lors qu’ils correspondent à un espace de communication ouvert au public ».
Lorsque le blog est arrivé sur la Toile, il a été
présenté comme un journal intime. Mais, aujourd’hui, il s’apparente plus à une
tribune comme on peut en lire dans la presse.
C’est un moyen d’exprimer ses impressions
sur l’actualité, sur son vécu, … C’est un espace certes personnel mais ouvert
aux autres et à leurs réactions. Or, s’il devient un lieu dans lequel chacun et
tous peut(vent) échanger, il quitte la sphère de la correspondance privée
et relève du régime de la communication au public par voie électronique.
Il a ainsi été jugé que le blog www.monputeaux.com «
accessible à tous les internautes désireux de le visiter » était un site
Internet public. « Aucune inscription préalable n’était exigée sur la base d’un
critère susceptible de caractériser une communauté » (TGI Paris 17 mars 2006).
On parle de blogosphère tant les blogs sont variés. On
trouve des blogs personnels, des blogs d’entreprise, des blogs politiques mais
aussi des blogs de photos, des blogs de musique. Néanmoins, leur nature reste la même. Il s’agit
d’un site Internet à part entière. Le blogueur comme l’organisateur d’un
forum de discussion est donc considéré comme un éditeur de service de
communication en ligne et sa responsabilité est, en principe, celle du
directeur de la
publication. Quelque soit l’auteur du « post » (message), la
responsabilité civile ou pénale du directeur de la publication peut être
engagée. Elle s’apprécie à l’aune du respect de la liberté d’expression et de
ses limites.
Ce principe de la liberté d’expression et ses limites sont rappelés fermement par l’article 1er de la LCEN (loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique). Parmi les infractions les plus fréquentes, on trouve la diffamation, l’atteinte à la dignité humaine, l’atteinte à la présomption d’innocence ou encore la provocation à la haine raciale. L’auteur d’un blog a été récemment condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et le commentateur à une peine de 6 mois de suspension de son permis de conduire à la suite de la publication de propos agressifs sur un blog (Tribunal correctionnel d’Arras, 20 janvier 2006) principalement pour diffamation et outrage à magistrat[1].
Pourtant, une décision de justice doit être particulièrement remarquée. A la suite de messages diffamatoires et injurieux sur une société, déposés sur un forum de discussion, la responsabilité de l’éditeur du site Internet n’a pas été reconnue comme relevant de celle du directeur de la publication mais de celle de l’hébergeur[2]. Le forum en question n’était modéré qu’a posteriori, de trois à quatre fois par semaine. Alors, quel est le critère permettant d’être qualifié de directeur de la publication ou d’hébergeur ?
Pour reconnaître la responsabilité du directeur de la publication, il convient de montrer qu’il y a eu, de sa part, fixation préalable du message c’est-à-dire capacité à prendre connaissance du message avant sa diffusion au public. L’organisateur intervient véritablement sur les contenus ou se les approprie. C’est le cas lorsque le forum est modéré a priori. Le modérateur filtre les messages avant leur parution dans l’espace public de discussion. Il décide notamment si ceux-ci sont en accord avec la charte du blog ou du forum.
A la lecture de cette dernière décision de justice, on serait tenté de recommander au blogueur et à l’organisateur d’un forum de discussion de ne procéder à aucune modération a priori. En effet, la responsabilité de l’hébergeur est moins sévère que celle du directeur de la publication. Mais, cette décision est encore isolée et la jurisprudence n’est pas encore clairement établie. La prudence incite donc à recommander vivement à tout organisateur de blog ou de forum de contrôler a priori ou à tout le moins très régulièrement, les propos postés.
Imaginons les conséquences pour l’image d’une société, si
des propos diffamatoires concernant un concurrent ou encore des informations
confidentielles sur une société cotée en bourse, étaient postés sur son blog ou
sur son forum de discussion pendant plusieurs jours sans que la direction de la
société n’intervienne. Les conséquences seraient sans doute très dommageables.
C’est pourquoi, il convient de peser vraiment le pour et le contre sur la
présence ou non d’un modérateur. D’autant plus, rappelons-le rapidement ici que
le pouvoir du modérateur de ne pas publier ou de retirer un message n’est
pas une entrave à la liberté d’expression lorsque le message litigieux
n’est pas conforme à la charte du forum ou constitue une infraction (Cour
d’appel de Paris, 11 mars 2003). Le contenu de la charte doit donc être rédigé
avec mille précautions.
[1] Dans
l’affaire Père-Noël.fr (TGI Lyon 28 mai 2002), le montant des dommages-intérêts
pour diffamation a été établi à 80 000 euros.
[2]la société Groupe Mace « Le responsable
d'un forum non modéré ou modéré a posteriori doit être considéré comme un
hébergeur au sens de la loi puisqu'il assure le stockage direct des messages
diffusés sans porter de regard préalable sur ces derniers ». Il a estimé que
« le message considéré comme diffamatoire ayant été supprimé du site par M.
D., dans les 24 heures de la demande formulée par le prévenu (avait) ainsi agi promptement dès qu'il (avait) eu connaissance du caractère illicite du message."
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